Un parcours initiatique au fil des stations de métro parisien ...
Un an déjà, c'était un banal accident de voiture, bien que l'adjectif banal ne soit pas approprié pour des séquelles aussi lourdes.
Elle était restée de nombreux mois dans le coma, branchée jour et nuit sur une machine qui lui permettait de survivre, le personnel soignant à l'affût du moindre signe de réveil.
Ce fut tout d'abord le battement d'une paupière, un œil qui s'entrouvre puis les lèvres qui laissent passer quelques sons.
Les mois qui suivirent furent douloureux et acharnés pour récupérer progressivement ses capacités motrices, la parole et un peu plus d'autonomie.
Elle s'en était plutôt bien sortie mais subsistait un handicap que les médecins donnaient comme définitif, la perte de l'odorat.
Elle en souffrait tous les jours devant son assiette appétissante mais sans aucun fumet.
De même les bouquets de fleurs offerts par son mari étaient magnifiques mais sans parfum.
Au réveil, ce matin là, elle décida, seule, de stimuler de façon originale ce sens perdu à l'aide de sa mémoire.
Elle prit le RER et rejoignit le métro parisien.
Elle décida de commencer son périple par la station "Poissonnière ".
Arrivée sur le quai, elle s'assit, ferma les yeux et fit remonter en elle ce que le nom de cette station lui évoquait.
Les jours de marchés en vacances au Pouliguen sa mère et elle allaient à la poissonnerie acheter les petites sardines, toutes fraîches, pêchées le matin même et dégustées sur le barbecue au déjeuner par toute la famille réunie.
Elle sourit à l'évocation de ces fragments de vie familiale.
La station suivante fut "Place des fêtes ".
Là, des souvenirs d'enfance de fêtes foraines, de tours de manèges endiablés, de rires et de barbe à papa collantes éclairèrent sa mémoire.
Elle était jeune à l’époque, mais n'avait rien oublié aujourd’hui de cette insouciance.
La suite de son voyage l'amena tout naturellement "Porte des lilas".
Là, c'est l’image du lilas dans le jardin de sa grand-mère qui réapparu.
A chaque printemps, le vent léger apportait les effluves captées par ses narines ; l'évocation même de cette période la rapprochait inexorablement de sa grand-mère aujourd'hui disparue.
Une vague d'émotion la transporta.
Elle reprit le métro et s'arrêta à la station "Javel".
Le souvenir des journées de grand ménage décrétées par sa mère refit surface.
Obnubilée par la propreté et la désinfection de sa maison, l'utilisation de l'eau de javel était maximale et cette odeur forte persistait de longues heures ...
Un souvenir comme un autre après tout, le but de sa démarche étant de retrouver son odorat perdu.
Elle entreprit ensuite de rejoindre la station "Notre dame des champs".
Là, c'était les herbes sèches grillées par le soleil de l'été, les meules de foin dorées bien ordonnées sur un champ de blé fraîchement moissonné qui lui revinrent en mémoire.
Elle était redevenue la petite fille qui montait avec son oncle agriculteur sur la belle moissonneuse-batteuse.
Elle voyait les petits lapins de garenne courant se réfugier sous les meules au passage de l'engin.
Un peu fatiguée par ce périple souterrain, et peu récompensée par ses efforts, elle se décida pour une dernière station avant le retour sur la banlieue parisienne.
Elle choisit tout naturellement la station "Jasmin", et plutôt que de rester sur le quai, cette fois-ci, elle décida d'emprunter la sortie pour accéder à l'air libre.
Elle s'assit sur un banc et sortit de son sac à main le petit flacon ambré contenant l'huile essentielle de jasmin qu'elle avait toujours sur elle depuis son séjour à Pondichéry en Inde du Sud.
Elle l'avait acheté dans une petite boutique de souvenirs tenue par une indienne magnifiquement drapée dans un sari aux couleurs chatoyantes.
Elle approcha le flacon de son visage.
Une larme s'échappa lentement de son œil et finit sa trajectoire sur ses lèvres qui détectèrent le sel lacrymal.
Au même moment, ses narines frémirent et les bouquets floraux comme éclatés libérèrent tout leur parfum subtil.
Un cataclysme sensoriel, une délivrance, elle avait réussit !
Ce parfum de jasmin si délicat, lui rappelait des moments magiques passés dans ce pays, tous les sens stimulés par la variété de couleurs, saveurs, sons et odeurs présente sur place.
Ce retour en arrière, comme par magie, lui permit de retrouver son odorat si précieux.
Elle sourit et huma l’air à pleins poumons, heureuse !
→ plus de commentaires